Les élus du parti y attaquent la morale suspecte de ces manuels, accusant à mots à peine voilés lâorientation « communiste » de certains manuels dâaprès-guerre. Rekishika ni « sôgôteki » nôryoku o yôkyû suru koto wa hateshite iru darô ka ? » (Doutes concernant les historiens contemporains ; est-ce trop leur demander que de se montrer un peu plus « synthétiques »? 6 Diplomate japonais, ministre des Affaires étrangères de 1943 à 1945, condamné lors du procès de Tôkyô à sept ans dâemprisonnement. 10 Nihon fashizumu no tokushoku (Les particularités du fascisme japonais), in Tôyama Shigeki, Fujiwara Akira, Imai Seiichi, Shôwashi (Histoire de Shôwa), nouvelle édition, Iwanami shinsho, 1959, p. 128. 30Il faut aussi souligner le flou qui entoure le terme de nation, et pas seulement pour des questions de traduction (supra note 4), mais parce quâelle est considérée comme le sujet de lâhistoire nationale pour tous les participants au débat. Ecarter celui-ci permet aussi dâéviter la question de la responsabilité de lâempereur et lâimmunité dont il a bénéficié. On peut en dégager trois : les problèmes liésau style de lâhistoire scientifique, lâamalgame entre la méthodologie des auteurs et les présupposés idéologiques de lâHistoire de Shôwa, et enfin le problème de la portée accusatoire de lâouvrage, câest-à -dire la critique du tableau des responsabilités de guerre brossées dans lâHistoire de Shôwa, et à travers elles, des culpabilités établies par le procès de Tôkyô lui-même. Historiographic and Political Issues of an Intellectual Phenomenon in Pre-war Japan, Université de Kyôto, 2008. Droits et Culture est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Quels sont les axes principaux sur lesquels se sont concentrées les critiques ? Procès mal conçu, mal conduit, incohérent voire truqué dès l’origine dans le choix des accusés (aucun industriel ou financier, par exemple) et bâclé dans ses conclusions, le procès de Tokyo n’a, du coup, pas obligé le Japon à purger définitivement son passé. Certaines limites internes à la grille dâanalyse des historiens de lâépoque, comme par exemple ses catégories en partie préconçues idéologiquement, ou les limites liées à lâutilisation du terme kokumin, le peuple-nation, comme sujet dâune histoire nationale sans interroger les a priori de ce concept. Il dresse à son tour un parallèle entre les tentatives des conservateurs au pouvoir pour réaffirmer leur emprise sur lâhistoire enseignée, et donc de circonscrire lâinfluence de lâhistoire universitaire, et les soupçons idéologiques que fait peser Kamei sur lâouvrage afin de saper sa légitimité sans aucune considération pour sa valeur scientifique. Cet article cherche à souligner les enjeux politiques et mémoriels qui entourent le débat, particulièrement en ce qui concerne la question centrale des responsabilités de guerre, et par conséquent du traitement réservé dans cette histoire au procès de Tôkyô. Il est relativement facile pour Tôyama de montrer que les critiques de Kamei ne sont pas aussi neutres quâil voudrait le faire penser, puisquâelles épousent un changement dans lâéquilibre politique du Japon au milieu des années 1950, avec le retour au pouvoir dâune frange dure des conservateurs japonais. Parmi ceux qui adressent ces critiques, on trouve surtout des intellectuels qui ne sont pas des historiens. 1 Le terme de « Shôwa » désigne ici lâère Shôwa du calendrier japonais, qui commence en 1926, et sâachève en 1989. Hommage à Kasra Vafadari, Portail de ressources électroniques en sciences humaines et sociales, Une mise en cause « littéraire » de lâ, Une critique plus pertinente du peuple comme victime, licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International, Catalogue des 552 revues. 3 Tôyama Shigeki, « Gendaishi kenkyû no mondaiten. Certaines questions ne sont pas abordées par les participants, ou de manière incomplète et significative, et révèlent de fait certains trous de la mémoire collective du Japon dâaprès-guerre. De ce point de vue, le projet des historiens était tributaire du procès de Tôkyô, car il reposait sur lâabondance des sources rendues publiques lors de lâélaboration du procès3. Il nây avait aucun moyen dây échapper pendant cette triste époque, avec des dirigeants qui préparaient toujours par avidité une nouvelle guerre pour accroître leurs bénéfices. Parallèlement, en investissant le champ nouveau de lâhistoire contemporaine, ces historiens vont tenter de proposer leur analyse des années de guerre, parallèlement à celle mise en lumière au procès de Tôkyô, en dégageant notamment toute la responsabilité des « classes dirigeantes » dans le déclenchement de la guerre et la militarisation du régime, pour élaborer un bilan beaucoup plus exhaustif, et socialement plus significatif, que celui, jugé bien trop limité, du tribunal militaire pour lâExtrême-Orient. 6Enfin, et câest ce qui nous ramène au procès de Tôkyô, cette époque est marquée par le développement de lâhistoire dite « contemporaine », synonyme en France de « lâhistoire immédiate ». © 2020 Encyclopædia Universalis France.Tous droits de propriété industrielle et intellectuelle réservés. La loi de sécurité publique de 1925, principale loi de censure et de répression idéologique de lâÃtat, est pointée comme symptomatique de cette volonté de juguler la représentation populaire malgré lâélargissement du suffrage, et est soulignée comme une des causes principales de la crise du système des partis qui se met à tourner à vide dans les années 1930. Les auteurs ont cherché notamment à se substituer à la mission historique du procès de Tôkyô quâils estiment avoir été impunément avorté. 2Ãcrire lâhistoire nationale dans le Japon de lâimmédiat après-guerre. Derrière cette critique, Kamei attaque là encore lâargument de base de lâHistoire de Shôwa, et son récit centré sur une nation entraînée contre son gré dans la guerre, et dont les aspirations furent exclusivement défendues par le PCJ. To display this page you need a browser with JavaScript support. Il demande si tous ceux qui sont morts pour lâempereur nâétaient que des idiots manipulés par le pouvoir, comme lâHistoire de Shôwa semble le sous-entendre à son avis, ou bien plutôt sâils nâont pas cru la cause quâils défendaient. Six mois après le début du procès de Nuremberg, le 3 mai 1946, s’ouvre le procès de Tokyo qui va juger les crimes commis en Extrême-Orient. De ce point de vue, lâimpérialisme est abordé comme une étape normale des Ãtats-nations modernes, suivant en cela les analyses de Lénine dans Lâimpérialisme, stade suprême du capitalisme, même si le Japon est vu comme un acteur tardif. 18  Lors du célèbre colloque de lâEcole de Kyôto, « Le dépassement de la modernité » (Kindai no chôkoku, publié par Sôgensha en 1943), il avait notamment déclaré : « La paix est plus terrifiante que la guerre » et « Mieux vaut une guerre souveraine quâune paix dâesclave ! ». Inauguré officiellement le 3 mai 1946 sous la présidence de l'Australien Sir William Webb, après l'inculpation de vingt-huit personnalités nippones, le tribunal militaire international de Tōkyō rendit son verdict 12 novembre 1948, en prononçant sept condamnations à mort, – dont celle du général et ancien Premier ministre Tôjô – seize peines de réclusion à perpétuité, et deux peines de prison, respectivement de 20 et de 7 ans. Implicitement, à travers ces historiens, les condamnations du procès de Tôkyô sont rejetées sans avoir à évoquer ses limites juridiques. « TOKYO PROCÈS DE » est également traité dans : Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des tribunaux internationaux ad hoc furent chargés de juger les grands criminels de guerre. Ce procès est intenté par le constructeur automobile Nissan, qui avait porté plainte en février dernier contre son ancien patron, afin de récupérer une … Ce parallèle sâopère sur deux points principaux. A cet égard, il nâest pas anodin quâun Kamei évoque les risques que présente cette vision de lâhistoire pour lâenseignement. 26En sâattaquant ainsi à la vision du récit national élaborée par les historiens académiques marxistes, les intellectuels littéraires comme Kamei vont faire le jeu des politiciens conservateurs qui tentent à la même époque dâimposer à nouveau leur marque sur lâhistoire enseignée dans les manuels scolaires. Après une longue période de retrait au lendemain de la guerre, cet article marque pour Kamei une véritable résurrection dans le milieu intellectuel japonais, cette fois-ci sous les couleurs dâun humanisme démocrate. La seconde raison est le prestige idéologique du communisme au lendemain de la guerre. On peut dâautant moins se risquer à juger quâon risquerait de devoir sâaccuser. Un important débat historique a suivi, qui a pris fin avec la rédaction dâune deuxième édition de lâHistoire de Shôwa en 1959. 25 Câest notamment la conclusion de lâanalyse des écrits de Kamei par lâhistorien des idées Sakai Naoki, « Nihonshi to kokuminteki sekinin » (Histoire du Japon et responsabilité nationale), in Rekishi to hôhô henshû iinkai (Comité de rédaction Histoire et méthode), Rekishi to hôhô 4, Teikoku to kokumin kokka (Histoire et méthode 4, Empire et Etat-nation) Aoki Shôten, 2000. 12 Tobe Hideaki, « Showashi ga umareru. 1. Par conséquent, le pays sâest à nouveau inscrit dans le réseau dâimpérialismes sous-tendu par le capital. Germaine A. Hoston, Marxism and the Crisis of Development in Prewar Japan, Princeton University Press, 1987. Paradoxalement, câest aussi le volet de leur accusation spécifiquement consacréà lâempereur qui sâatténue avec la disparition du procès. Le 27 mai 1999, Le procureur du Tribunal pénal inte […] Ce parallèle leur fait pointer les limites du procès de Tôkyô : Loin de se conformer à son but original, la condamnation du fascisme par la démocratie, le procès est plutôt devenu le moyen pour le vainqueur impérialiste dâétaler sa puissance militaire. D e mai 1946 à novembre 1948, l e tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient composé de 11 pays vainqueurs mais largement dirigé par les Etats-Unis va traduire en justice les dignitaires impériaux japonais. 13La présentation de lâaprès-guerre est tout aussi significative, puisquâune fois accomplies les promesses de démocratisation de lâimmédiat après-guerre, au premier rang desquelles les articles pacifistes de la Constitution et le retour de la liberté de parole, les auteurs effectuent un parallèle très clair entre les évolutions du Japon dâavant-guerre et le retour des conservateurs au pouvoir après-guerre. Hostiles à cet exposé trop radical, Kamei tente de saper les bases de ses accusations et du tableau quâil révèle des responsabilités de guerre. Dâabord proche du marxisme, Kamei est un exemple de « conversion » (tenkô) à lâidéologie militariste17. Comment ces historiens ont-ils tenté dâanalyser, dâhistoriciser la marche vers la guerre de leur pays ? 3Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les travaux des historiens japonais ont été marqués par trois grandes orientations. This paper will try to underline the political and memorial stakes behind this debate, especially in relation to the responsibilities of war, and consequently the depiction of the Tokyo trial in such an history. Le peuple de cette nation nâest-il pas dans ce cas précis le coupable de cette tragédie ? Cela ne passe plus, comme avant-guerre, par une intervention directe dans les débats académiques, que ce soit par la censure ou par lâemprisonnement pur et simple des historiens qui remettent en cause lâhistoire officielle. En effet, le Japon sâest indirectement impliqué dans la guerre de Corée, puisque le pays nâa pas envoyé de troupes, mais a servi de base arrière aux forces de lâONU, et soutenu par son industrie lâeffort de guerre. Matsuzawa cite ainsi lâexemple des classes moyennes qui, par le biais notamment des associations locales de défense, ont souvent relayé activement la propagande militariste. Si lâHistoire de Shôwa a su élargir le cadre de lâhistoire nationale japonaise, en recourant notamment à lâimpérialisme comme grille dâanalyse des guerres dâagression en Asie, la nation comme sujet de lâhistoire pose un problème indéniable. Ce débat permet de mieux comprendre les conditions dans lesquelles sâest inscrit ce projet dâécriture dâune histoire nationale récente dans le Japon des années 1950, ainsi que le rapport entre lâanalyse historique des causes de la guerre et la mémoire collective nationale à la même époque. Shôwashi ni yoseru koe »(Nous aussi, nous lâavons vécu ; Avis concernant lâHistoire de Shôwa), Toshô Shinbun, 10 décembre 1955. 4 Avec lâétablissement de la République populaire de Chine en 1949, puis la guerre de Corée en 1950, le Japon devient la base avancée du bloc occidental en Extrême-Orient, et par conséquent un allié stratégiquement décisif pour les Ãtats-Unis. Il reste en cela fidèle à lâesthétisme romantique quâil avait adopté durant la guerre, et semble de fait plaider lâabsence dâancrage idéologique de cette posture, alors même que ses propres prises de position passées semblent prouver le contraire. « TŌKYŌ PROCÈS DE », Encyclopædia Universalis [en ligne], 9 Tôyama Shigeki, Fujiwara Akira, Imai Seiichi, Shôwashi (Histoire de Shôwa), première édition, Iwanami shinsho, 1955, p. iii. Voir à ce sujet Ienaga Saburo, Japanâs Past, Japanâs Future : One Historianâs Odyssey, Lanham, Maryland : Rowman & Littlefield, 2001. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/proces-de-tokyo/, Encyclopædia Universalis - Contact - Mentions légales - Consentement RGPD, Consulter le dictionnaire de l'Encyclopædia Universalis. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, 11 juges des pays alliés sont nommés pour décider du destin des grands criminels de guerre japonais dans un procès explosif. Par lâampleur des sujets abordés, cet ouvrage a marqué une étape importante de lâhistoriographie japonaise sur cette période cruciale de lâhistoire nationale couvrant lâavant et lâaprès-guerre. Il ne peut donc remettre en cause la véracité de leurs conclusions, et se garde bien de sâaventurer sur ce terrain, concentrant ses critiques sur des questions de style. Câest certainement parce quâil épousait parfaitement les contradictions de son temps que son verdict sur lâHistoire de Shôwa bénéficia dâune audience importante. Inversement, câest la position de plus en plus monopolistique de ces conglomérats au sein du marché intérieur japonais qui leur ont permis dâimposer au reste de la classe dirigeante la poursuite de leurs intérêts. Matsuzawa note que la séparation absolue opérée entre une nation victime, entrainée de force dans la guerre, et la classe dirigeante coupable, est problématique. Son sous-titre en dit long : le pendant asiatique du tribunal de Nuremberg a été éclipsé, trop controversé pour les Japonais et trop lointain pour les Européens. Il est désormais impossible de le présenter, comme câétait parfois le cas dans la première édition, comme lâincarnation des aspirations du peuple japonais contre les élites. 14 In Odagiri Hideo, « Watashitachi mo ikitekita. Pour lui, à travers ces attaques, câest lâindépendance de lâhistoire comme discipline scientifique qui est mise en cause. 23Dans leur nouvelle édition de lâouvrage en 1959, les auteurs prendront cependant en considération une partie de ces critiques, en se montrant notamment plus enclins à souligner les erreurs du Parti communiste japonais. Kamei sera lui aussi emprisonné lors de la sévère répression anticommuniste du 15 mars 1928. Câest dâailleurs là une des forces de lâapproche historique marxiste, qui intègre aspects politiques, économiques et culturels, et câest ce qui explique sa prépondérance dans ce Japon dâaprès-guerre qui cherche à comprendre comment il sâest trouvé entraîné dans la folie du militarisme. Tristan Brunet, « Le procès de Tôkyô et le débat sur lâHistoire de Shôwa », Droit et cultures, 58 | 2009, 43-58. 2 Cf. Comme le souligne le chercheur Tobe Hideaki12, les auteurs ont ainsi cherchéà rendre la plus lisible possible leur analyse des causalités de la marche à la guerre, dans un but pédagogique. Le but avoué des auteurs est de dépasser les limites du procès de Tôkyô, et la menace que celles-ci font peser à leurs yeux sur la démocratie au Japon. Éric SEIZELET, Lire la suite. Elle semble par conséquent reproduire, bien quâà un degré moindre, la critique que les auteurs avaient eux-mêmes avaient sur les conclusions du procès de Tôkyô. Bien qu'un procès eut lieu (avec le Tribunal de Tokyo), le fait que certaines personnes ne furent pas poursuivies (comme l'Empereur et les membres de l'Unité 731) et que certains cas furent totalement occultés (comme les femmes de réconfort) fit que les Japonais sentirent que ces tribunaux ne cherchaient que des boucs émissaires. Lire la suite, Dans le chapitre « L'ambition réformiste des forces d'occupation » Au Japon, des criminels de guerre de classe B (comme Soemu Toyoda) et C furent jugés à Tokyo et à Yokohama. Lâanglais et les cultures : carrefour ou frontières ? 4 Le terme japonais utilisé ici est kokumin, que je traduis tantôt par nation, tantôt par peuple, koku tirant vers nation, et min vers peuple. Lâutilisation du marxisme comme grille dâanalyse a permis aux historiens japonais de lâépoque dâinscrire leur histoire récente dans une rationalité, mais aussi dans une conception universalisante de lâhistoire, faisant le lien entre lâexpérience nationale japonaise et une conception standardisée de lâévolution historique des Ãtats-nation. En prélude à ce procès, les arrestations de suspects débutèrent dès le 11 septembre 1945, sur ordre du général Douglas MacArthur, commandant suprême des puissances alliées au Japon (Supreme Commander for the allied forces, S.C.A.P.). 22Dans sa réponse à Kamei, Tôyama Shigeki soulignera cette ambigüité20. 12Les auteurs insistent également sur lâimportance de lâimpérialisme japonais dans le déclenchement de la guerre, et surtout, la logique du capital qui le soutient. On peut regrouper ces lacunes sur deux grands axes : le problème de la victimisation de la nation japonaise, et le problème de la subjectivité dans la rédaction de lâhistoire nationale. Il oppose ainsi à ce verdict, comme on lâa vu, la complexité des trajectoires individuelles, et le problème de la responsabilité de lâensemble de la nation japonaise dans la guerre, et insiste surtout sur lâexpérience de la guerre comme un traumatisme, capable de transformer les hommes ordinaires en brutes sanguinaires. Lâouvrage fait lâobjet dâune polémique qui permet de mesurer les résistances qui se développent au sein de la société japonaise contre un tel projet.